Soutenir l’agriculture durable par l’achat collectif de terres

Par Laetitia Clavreul, Le Monde, 5 janvier 2009

Sjoerd Wartena vit en France depuis plus de trente ans mais, des Pays-Bas, où il est né en 1939, il a gardé accent et pragmatisme. Président de l’association Terre de liens, Sjoerd Wartena n’est pas peu fier du rêve qu’il réalise.

Grâce à la société foncière qu’il a contribué à lancer, et qui vient de recevoir l’autorisation de l’Autorité des marchés financiers de lever 3 millions d’euros auprès du public, il permet à des agriculteurs de s’installer sans avoir besoin d’acquérir des terres, souvent devenues inabordables.

Grâce à l’épargne solidaire, il entend lutter contre la spéculation foncière en permettant, par un système de propriété collective, de maintenir des exploitations sur le territoire et de contribuer au renouvellement des générations agricoles.

Pour en arriver là, il a fallu vingt ans. Son association s’appelle Terre de liens, mais lui n’en avait, à l’origine, aucun avec la terre. Fils de médecin, il a étudié en lettres à la faculté d’Amsterdam, puis travaillé à la bibliothèque universitaire. Mai 1968, le mouvement de retour à la terre et de nombreux voyages l’ont conduit à s’installer en France en 1973, dans une ferme de la Drôme. Au grand regret de ses parents, se souvient-il. Il produit alors, comme beaucoup, du fromage de chèvre, puis se lance dans les plantes aromatiques. Toujours en agriculture bio. /” On ne savait rien : les anciens du village nous ont tout appris “,/ dit-il. Le problème de la propriété foncière lui apparaît vite : /” Les gens créaient des groupements fonciers agricoles, mais quand l’un abandonnait, quand un couple divorçait, il mettait l’exploitation en danger, car celui qui restait n’avait pas de quoi racheter l’ensemble. “/ La terre coûtait cher, et son prix a encore augmenté depuis. La faute à l’urbanisation et au tourisme.

Sjoerd Wartena découvre alors qu’ailleurs, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, la réflexion est déjà en route. Mais il lui a fallu attendre 1998 pour trouver /” quelques complices “/ en France. Puis les choses se sont accélérées : en 2003, il crée son association, puis en 2006, sa société foncière, avec le soutien de la Nef, une société coopérative financière. Le bouche-à-oreille lui permet de récolter 1 million d’euros et d’aider une dizaine d’exploitations, grâce à l’acquisition d’hectares mis en location. Avec pour obligation de respecter l’environnement.

Grâce à l’appel public à l’épargne, une vingtaine de projets vont pouvoir être aidés./ ” Avec 3 millions, on pourrait tout juste acheter quatre fermes ; donc, on préfère soutenir en partie “,/ explique Sjoerd Wartena, qui rêve de réunir un capital de 20 millions d’euros d’ici à dix ans. /” On ne veut pas acheter la moitié de la France, mais, grâce à des exemples concrets, faire avancer le débat “/, dit-il. Car, pour lui, la modernité en agriculture, ce n’est pas développer le /” modèle américain “/ d’exploitations géantes et gourmandes en engrais et pesticides, mais répondre à l’attente de la société. Or celle-ci veut du bio, et la France n’arrive pas à lui en donner. Terre de liens estime être une piste pour y contribuer.

Militant dans l’âme, Sjoerd Wartena n’est pas un radical. La mise en place d’outils financiers fait peur à certains ? Pas à lui. Faut-il se cantonner à l’agriculture biologique ? Pas selon lui, qui plaide pour une agriculture durable. /” Si on représentait 20 % à 30 % des surfaces, et non pas 2 %, on serait davantage écoutés “,/ juge-t-il. Et tant pis s’il dérange dans son propre camp. Lui réserve ses griefs à la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), aux chambres d’agriculture et aux pouvoirs publics qui n’ont pas permis l’essor d’une alternative agricole en France. Aujourd’hui, Allemands et Britanniques s’intéressent au système qu’il a mis en place. Un système à l’échelle nationale qui n’a pas d’équivalent ailleurs, où les expériences sont restées au niveau local.

Le site de Terre de liens