Le rôle de l’architecte, un texte d’Albert Jacquard

N’ayant d’autre choix que de faire un projet pour demain, tout homme doit adopter le comportement de l’architecte qui, lorsqu’il décide des fondations de la maison, sait déjà comment sera le toit. Le « toit » de la maison humanité, ce sont les générations à venir. Les fondations, nous les creusons par nos décisions d’aujourd’hui. Nous sommes coupables lorsque nous nous abandonnons à la paresse intellectuelle en nous satisfaisant d’idées toutes faites.

L’architecte est le prototype du rebelle:  alors que tout, dans la nature, fait d’aujourd’hui le résultat d’hier, il tente de rendre aujourd’hui compatible avec ce qu’il désire pour demain. Il renverse le sens de la causalité.

Ce qu’il réalise est un lieu où les hommes vivront en commun; il est de sa responsabilité de donner une orientation à cette mise en commun. Elle peut se borner à une juxtaposition d’existences indépendantes, enfermées dans leur solitude stérile, à la seule recherche de satisfactions immédiates. Elle peut aussi aboutir à des rencontres toujours nouvelles, à la construction de personnes constamment en quête de contacts, à la réalisation d’une société où chacun se sente merveilleux dans le regard des autres.

C’est la liberté qui est en cause.

Bien sûr, l’architecte doit être un bon technicien; il doit résoudre avec élégance les problèmes qui lui sont posés; il lui faut être efficace. Mais cette efficacité nécessaire n’est pas suffisante. Il lui faut laisser parler en lui l’angoisse permanente: « Ce que j’ai réalisé aidera-t-il les hommes de demain à vivre plus sereinement? »

Extrait de « De l’angoisse à l’espoir. Leçon d’écologie humaine » d’Albert Jacquard

Un petit commentaire de la Ruche : si les décideurs publics, en particulier ceux concernés par les questions d’aménagement des villes, pouvaient avoir lu et compris ce texte…