Gaz de schiste : on joue sur les mots

Le gaz de schiste, c’est bel et bien fini, non ? On s’en souvient : en juillet dernier, le gouvernement fait voter une loi interdisant la fracturation hydraulique. Les opposants poussent un ouf de soulagement. Erreur : c’est reparti !


Sur la soixantaine de permis de recherche, seuls les quatre qui annonçaient ouvertement recourir à la fracturation hydraulique ont été retirés. Comme par hasard autour du Larzac, épicentre de la mobilisation… Et actuellement, plus de 70 permis sont à l’étude au Bureau exploration-production des hydrocarbures, tandis que 14 nouveaux permis concernant le Bassin parisien, la Lorraine et l’Aquitaine arrivent en fin d’instruction. Par quel prodige ? « La loi interdit la fracturation hydraulique », précise-t-on au ministère de l’Écologie, « mais elle n’interdit pas d’aller chercher le gaz de schiste ». Nuance.

Pour mémoire : ces fonds de tiroirs des gisements pétroliers, dits non conventionnels, sont accessibles à condition d’aller fracturer la roche-mère jusqu’à 4 kilomètres de profondeur, et au prix fort (consommation moyenne de 15 millions de litres d’eau par puits, pollution des nappes phréatiques par des adjuvants chimiques, séismes, voire, en prime, quelques effets spéciaux explosifs à la sortie du robinet). « Comme la loi interdit la technique d’exploitation sans la définir, et non l’exploitation elle-même », explique Hélène Bras, avocate de la Coordination nationale des collectifs contre les gaz et huile de schiste, « les pétroliers se livrent à une véritable escroquerie intellectuelle pour la contourner. Pour obtenir un permis de recherche, il leur suffit simplement d’éviter les mots qui fâchent ». La « fracturation hydraulique » et son complice, le « forage horizontal ».

On assiste donc, depuis quelques mois, à un véritable concours de figures de style. Les compagnies qui viennent d’obtenir les 14 nouveaux permis, pourtant spécialisées dans les gaz et pétrole de schiste, ont franchi l’instruction grâce à une simple périphrase : « recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux ». D’autres sociétés, euphémisantes, font état de « forages conventionnels ». La société Vermilion, elle, parle de « techniques conventionnelles » appliquées à des « gisements non conventionnels ». Exxon Mobil se contente, sur le site d’information qu’il finance, d’un synonyme, la « stimulation hydraulique ». Et personne ne sait ce que cachent ces formulations, puisque les pétroliers s’abritent derrière le secret industriel…

Autre ruse, qu’explique Dominique Jourdain, membre du Collectif Carmen, dans l’Aisne : « Si les pétroliers investissent des millions dans ces plates-formes, c’est dans l’espoir de les voir se transformer en “puits expérimentaux”, ce qui leur permettra de faire de la fracturation ». Car, si l’article 1 de la loi interdit la fracturation hydraulique, son article 2 crée une commission susceptible de l’expérimenter « à des seules fins de recherche scientifique sous contrôle public ». Et ce en application du principe de précaution, justifie le gouvernement sur son site : le seul moyen d’en connaître les risques, c’est de tester. Imparable.

Cette pratique se limitera-t-elle à un « site expérimental », comme le disait sans s’attarder François Kalaydjian, représentant de l’Institut Français du pétrole (France Culture, le 6/04) ? Pas sûr : le rapport du Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies préconise de tester la fracturation hydraulique dans « des forages pilotes sur chaque bassin », l’implantation de ces forages étant « à définir en cohérence avec les besoins des oprérateurs concernés ». Du sur-mesure ! Sauf que la loi, votée précipitamment, est si contradictoire que, assure Pierre-Antoine Lachal, du ministère de l’Industrie, il faudra de nouveau la changer pour pouvoir réellement procéder aux expérimentations.

Depuis le 21 mars, les citoyens disposent de quatre-vingt-dix jours pour « formuler leurs observations » concernant les 14 nouveaux permis, via le site Internet du ministère de l’Écologie. « Le gouvernement tiendra compte de ces observations », assure Pierre-Antoine Lachal. Oui, mais quel gouvernement ?

 

Le Canard Enchaîné

N° 4774 du 25 avril 2012