La catastrophe de l’Airbus Rio-Paris impose le renforcement de la sécurité aérienne

Un article de Gérard Feldzer , paru dans Le Monde du 14 juin
Une grève en a limité sa diffusion dans les kiosques, tout comme celle des autres quotidiens.

Gérard Feldzer est directeur du musée de l’Air et de l’Espace (www.museedelair.org), membre de l’Académie de l’air et de l’espace


De la panne électrique aux faux débris, beaucoup de choses ont été dites depuis le drame du vol AF 447. Beaucoup de fausses nouvelles, de fausses informations aussi. D’un côté, l’attirance des lumières médiatiques, de l’autre, le scoop à tout prix. Tout cela au milieu d’une communauté aéronautique traumatisée, des familles détruites. Et une solidarité exemplaire des gens de l’air.
Il est légitime de se poser des questions : comment et pourquoi l’avion est-il entré dans cet orage ? Que s’est-il passé dans ce cockpit, aux alarmes multiples et certainement incompréhensibles pour les pilotes ? Qu’aurions-nous fait à leur place ? Mais il est tout aussi téméraire de tirer des conclusions à ce stade, tant il y a de scénarios possibles. M. Pitot devenu tristement célèbre et sa sonde ne peuvent expliquer seuls les raisons du drame et surtout son issue.
Ayant parcouru de nombreuses fois cette ligne de l’Atlantique sud aux commandes d’A330 identiques, dont certainement celui qui vient de s’abîmer, connaissant ces fronts tropicaux pour les avoir pratiqués en avion (mais aussi en ballon à pédales lors de ma traversée avec Nicolas Hulot, brutalement interrompue), je peux attester de la violence considérable des fronts intertropicaux, surtout à cette période.
Cet accident nous renvoie à une meilleure appréhension des caprices de la nature qui deviennent de plus en plus violents. Comme si elle nous disait à nous Terriens : ” Faites avec moi, jamais contre moi, vous ne serez pas les plus forts… ” Même si rien n’autorise à lier la disparition de l’Airbus au réchauffement climatique, comment s’empêcher d’y penser ? Alors que nul ne conteste plus parmi la communauté scientifique que la température de l’eau des océans a tendance à s’élever et avec elle l’évaporation et la condensation de la vapeur d’eau, sources d’énergie et moteurs de ces redoutables perturbations.
Bien sûr, le pot au noir si bien décrit par Mermoz a toujours existé. Le front intertropical a toujours eu ses masses nuageuses semées de cumulonimbus gigantesques. En trente-cinq ans de traversées océaniques en tant que pilote, puis commandant de bord, j’ai constaté que les cumulonimbus étaient de plus en plus imposants, recelant une violence accrue, nous contraignant à des évitements plus larges. En mettant toute notre confiance dans notre précieux radar de bord pour les contourner.
Pour autant, nous ne pouvons exclure, comme dans beaucoup d’accidents, une accumulation de facteurs, certes climatiques mais aussi techniques et/ou humains, sans même écarter pour l’instant l’hypothèse d’un attentat, même si elle semble de moins en moins probable.
Nous voudrions pouvoir répondre à toutes les questions des proches des victimes, et à toutes celles des autres personnes concernées et consternées : pouvait-on éviter l’accident ? ; les passagers et l’équipage se sont-ils rendus compte de quelque chose ? Ont-ils pu réagir ? Ont-ils ressenti quelque chose ? Enfin cet accident peut-il nous servir au moins à en éviter d’autres ? Une longue enquête sera nécessaire pour répondre aux deux premières interrogations, mais il n’y a aucun doute quant à la troisième : la réponse des constructeurs, des compagnies, des pouvoirs publics devra être à la hauteur du traumatisme subi.
Cela implique la mise en oeuvre d’améliorations dans tous les domaines, celui des cartes météo et des images satellite ” à la demande ” accessibles dans les cockpits, des liaisons planétaires sans ” trous de fréquence “, une couverture radar planétaire, le remplacement ou le doublement des boîtes noires par la transmission en temps réel et automatique de toutes les données sécurisées et confidentielles et pas seulement celles liées aux impératifs de la maintenance à l’escale, de meilleures interfaces hommes machines, etc.
Cela dépasse les capacités d’une seule compagnie, d’un seul constructeur et de sa chaîne de sous-traitants, seraient-ils aussi performants qu’Air France et Airbus qui nous proposent, j’en témoigne, les plus merveilleux, les plus sûrs avions du monde aux commandes desquels, en 20 000 heures de vol, j’ai sillonné la planète et conduit mes passagers à bon port. Parce que la sécurité n’a pas de prix, elle ne peut être un argument de vente entre industriels ou compagnies qui doivent garantir, au sol comme dans le ciel, un niveau de sécurité égal pour tous.
Parce que la sécurité n’a pas de frontières (on a pu compter plus de trente nationalités à bord du vol AF 447), il est indispensable de renforcer, sans plus attendre, un programme international de la sécurité aérienne, cofinancé par tous les acteurs : les compagnies, les constructeurs, les Etats, les organismes internationaux. Puisse cet accident, si exceptionnel, même si ses causes réelles ne peuvent être établies, changer notre façon d’appréhender le transport aérien.
Puisse-t-il nous inciter à approfondir, exploiter et mettre en oeuvre beaucoup plus rapidement les coopérations internationales, et à réunir des moyens supplémentaires en faveur d’une sécurité partagée, pour que l’avion reste l’un des moyens de transport les plus sûrs au monde. Nous devons nous améliorer, et la technologie continuera de diminuer les risques.
Mais nous devons être conscients que les risques majeurs pour l’humanité vont se jouer dans les années qui viennent. En décembre à Copenhague, lors de la conférence planétaire sur le climat, nous avons rendez-vous avec l’histoire, la nôtre. Comprendre la nature, la respecter, nous doter de meilleurs outils d’observation et de prévention, voilà qui nécessite une prise de conscience et une volonté politique inflexible de nos décideurs.