ENTRETIEN – NonFiction.fr – Festival cinéma écologie de Vanves, 7e édition – avec Jean-Michel Couzon

[mardi 24 mars 2015 – 15:00]

En 2009, l’association la Ruche de Vanves a créé le festival cinéma écologie de Vanves, en partenariat avec le panier vanvéen, pour informer les citoyens sur les réalités écologiques de notre planète. A partir d’un thème choisi chaque année en fonction de l’actualité, des films documentaires sont projetés et donnent lieu à des débats entre le public et des spécialistes. Alors que la 7e édition du festival, centrée sur la question du climat, se déroule du 28 mars au 1er avril au lycée Michelet de Vanves, nous avons rencontré Jean-Michel Couzon, l’un des responsables du festival.


Nonfiction – Comment l’association dont vous faites partie, La Ruche de Vanves, en est-elle venue à créer un festival de cinéma portant sur l’écologie ?

Jean-Michel Couzon L’association est née d’une équipe qui s’était présentée aux élections municipales en 2008 dans cette commune de Vanves. Cette équipe, qui portait principalement les idées du parti politique Les Verts, a souhaité créer une structure qui soit moins politisée et qui puisse s’adresser aux citoyens avec lesquels nous vivons pour transmettre des idées sur l’écologie, sur la manière de vivre, sur toutes ces questions qui étaient déjà contenues dans la campagne pour les municipales. Derrière son nom – la Ruche de Vanves : alternatives écologiques et solidaires – il y a l’idée d’un creuset, d’une ruche qui fourmille d’idées, mais également de quelque chose qui a à voir avec l’écologie, c’est-à-dire le monde dans lequel les humains vivent ensemble. Parler d’écologie, c’est penser le rapport entre l’homme et son milieu. L’équipe s’est étoffée de gens qui n’étaient pas du tout inscrits dans un parti politique, mais qui avaient quand même une sensibilité pour ces questions. Ensuite, cette association s’est lancée plutôt dans des actions locales de promotion de l’écologie, autour de la question des déchets, du suremballage, de la pollution, dans le but de faire évoluer les mentalités. Dernièrement, on a fait des soirées à thème, avec ou sans film, mais toujours avec un débatteur spécialiste d’une question d’écologie. L’idée du festival a émergé en 2008, en lien avec une association locale, le panier vanvéen, qui est une Amap. Chaque année, on essaye d’ailleurs d’avoir un film en lien avec les considérations de l’Amap – l’alimentation, l’agriculture, les questions Nord-Sud, etc. Depuis quelques années également, on organise une soirée avec un buffet offert par cette Amap.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur la manière dont vous vous organisez au sein de l’association pour la mise en place du festival ?

Nous sommes une association de loi 1901, mais depuis un an, on a décidé de fonctionner davantage comme un collectif : il n’y a plus de président, trésorier, secrétaire, etc. En fonction des thèmes que l’on poursuit, des petits noyaux sont délégués pour cela. Avec deux, trois personnes, je m’occupe davantage du festival, mais il est évident que c’est la grosse affaire de l’association et que tout le monde y contribue de manière très importante.


Avez-vous des subventions pour pouvoir assurer la tenue du festival chaque année ?

Au début, on n’avait pas de financement. C’est pour cela qu’on a répondu favorablement au lycée Michelet qui nous prêtait son théâtre pour le festival. On a proposé au lycée de faire également des après-midi cinéma pour les lycéens autour de ces questions écologiques et aussi d’organiser le soir des séances ouvertes à tous. On a un peu plus d’argent maintenant car comme on est pour une part lié au parti Europe Ecologie les Verts, on recherche des subventions dans ce champ. C’est le cas notamment avec André Gattolin, un sénateur Vert, qui nous soutient. Ça fait trois, quatre ans qu’on a une subvention qui nous permet de couvrir les frais. Au début, on passait des films qui n’avaient pas de droits de diffusion. Dès lors qu’on a eu des subventions, on a souhaité payer les droits de diffusion et prendre en charge les frais des invités, notamment les frais de déplacement.

Ce qui ressort de la programmation de la présente édition, c’est l’idée de proposer une alternative au discours dominant sur l’écologie et l’économie et d’envisager d’autres solutions que celles habituellement avancées. Souhaitez-vous avant tout informer les citoyens ou estimez-vous que le festival doit avoir un véritable pouvoir d’action ?

Bien sûr, proposer une alternative au discours dominant, c’est un objectif essentiel, notamment autour de la question des énergies, de la transition énergétique ou du nucléaire. Mais il y a eu également une évolution dans notre manière de voir le festival. Les premières années, on voulait surtout informer sur les réalités, écologiques notamment, en espérant toucher une population lambda, et non pas une population d’initiés. On trouvait que ces idées sur l’écologie n’étaient pas relayées par les médias. Tchernobyl, on n’en parlait plus, et il n’y avait pas encore eu Fukushima… Ensuite, on s’est aperçu que peu à peu, grâce au niveau européen notamment, l’information sur l’écologie se faisait meilleure, que les gens étaient mieux informés. Et puis, comme les choses étaient loin de s’arranger, par exemple l’état de la planète, on s’est dit qu’il fallait peut-être arrêter d’être dans une information catastrophiste, au niveau du climat notamment. Pour essayer d’amener les gens à prendre conscience de leur pouvoir d’action, avec leurs bulletins de votes, mais aussi dans leur entourage, il ne fallait pas seulement leur proposer un discours d’information sur l’état des choses. On devait aussi être plus positif parce que finalement, est-ce que les gens allaient venir dans un festival où on ne faisait que dire que ça allait de plus en plus mal ? La sinistrose, ça n’est pas forcément très porteur. On s’est dit qu’il fallait avoir une action d’information, mais aussi une action de proposition. Peu à peu, on s’est orienté vers des films qui contenaient des lueurs d’espoir. Si on regarde le programme de cette année, on voit qu’il y a un vrai fourmillement de propositions, de solutions qui sont déjà en action, qui sont déjà réalisées. Par exemple, on passe cette année Sacrée Croissance de Marie-Monique Robin, qui sillonne le monde pour montrer qu’il y a déjà beaucoup de réalisations, que le monde est déjà en changement dans certains lieux, que ce soit l’Inde, le Tibet, le Brésil, ou même la France.

Cette année, on parle de l’Europe, mais également de thèmes mondiaux comme la finance, la relocalisation de l’économie, la question des monnaies locales, des ressources, du bien commun, etc. On voit qu’il y a des combats qui sont menés partout. Naturopolis : Et si Paris se mettait au vert d’Isabelle Cottenceau concerne notre cadre de vie régional – le Grand Paris, la région Île-de-France. On trouve déjà des initiatives pour changer le cadre de vie d’une région aussi importante que l’Île-de-France. Et puis il y aura également une soirée « Ils le font et ça marche », composée de courts métrages qui traitent notamment de l’économie circulaire et posent diverses questions. Comment faire en sorte que le fonctionnement des entreprises soit davantage en synergie avec l’économie circulaire ? Il y a bien sûr l’exemple très célèbre de Kalundborg au Danemark, mais aussi des initiatives locales et notamment françaises au niveau de la transition énergétique, des changements du mode de vie avec les familles à énergie positive. Comment peut-on associer les entreprises et les citoyens pour financer un projet de parc photovoltaïque dans l’Ouest de la France ? Comment peut-on pousser les salariés d’une entreprise à venir en vélo ? Au lieu de donner 25 centimes/km aux salariés qui viennent en voiture, on peut donner 25 centimes/km à ceux qui viennent en vélo. Ça a d’abord été testé dans la Drôme et aujourd’hui, plusieurs dizaines d’entreprises en Île-de-France ont accepté de mener cette expérimentation. Voilà un exemple d’initiative qui n’est pas forcément coûteuse et qui a été mise en acte. Il y a un tas de projets de ce genre qui peuvent être réalisés en entreprise.

Comment est-ce que vous élaborez la programmation, quels sont vos critères pour le choix des différents films ?

Au début, on essayait de voir quels étaient les films qui pouvaient intéresser les gens et on cherchait ensuite des intervenants. Depuis quelques années, on réfléchit dans l’autre sens : trouver un thème et trouver des films qui permettent d’illustrer le thème. Ça fait trois ans qu’on fonctionne comme ça. En 2013, le thème était « La croissance, pour quoi faire et à quel prix ? ». L’année dernière, c’était le « Bien Commun » – il ne s’agit pas simplement des ressources naturelles, mais aussi des ressources immatérielles : la culture, la lecture, internet, etc. Cette année, on a choisi comme thème « Le climat change et nous ? ». On s’est centré sur la venue à Paris de la grande conférence sur le climat, qui chaque année est un échec complet. On s’est dit qu’il fallait préparer la venue de cette COP21. On n’est pas les seuls à le faire. Par exemple, le conseil régional d’Île-de-France a lancé un appel à projets pour que les associations qui le souhaitent proposent des actions dont le point phare serait cette conférence sur le climat.

Selon vous, quel rôle peut et doit jouer le cinéma dans la réflexion sur l’écologie ?

Ce n’est pas juste le cinéma, c’est surtout le ciné-débat qui a de l’importance pour nous. Quand on invite quelqu’un, on n’attend pas une conférence mais un débat avec la salle. Tout de suite, on donne la parole à la salle. Autrement, le cinéma permet d’informer de manière pointue, mais il permet aussi tout simplement de faire venir du monde au festival. En termes de communication, on se demande justement comment toucher un public lambda. On remarque que parmi les gens qui viennent au festival, il y a peu de naïfs : la plupart sont déjà bien informés sur ces questions et se sentent concernés. On essaye de trouver des sujets, des personnalités qui vont faire venir du monde, comme par exemple Marie-Monique Robin qui commence à être vraiment connue. En 2013, on avait passé son film Les Moissons du futur en avant-première et on avait fait salle comble. On essaye de promouvoir le festival avec une tête d’affiche. C’était le cas de Coline Serreau qu’on avait fait venir pour La terre vue de la terre ou de Jean-Paul Jaud qui a fait Severn et dont le dernier film, Libres, est sorti en salles ce mois-ci.

Sachant que le festival se déroule dans un lycée, est-ce que vous menez des actions à destination du jeune public ?

Tout à fait, il y en a eu jusqu’à l’année dernière. Il y avait une après-midi pour les lycéens en dehors du festival, dans le cadre de la semaine du développement durable. On passait soit des films spécifiques pour un public adolescent, soit un film du festival qui était tout public, et on organisait un débat à la fin de la projection. C’était notre manière de remercier le lycée Michelet et de faire une action à destination du jeune public. On n’a pas pu relancer ça cette année mais je pense qu’on va y revenir. On remarque que certains adultes viennent avec leurs enfants au festival, mais que peu de jeunes viennent d’eux-mêmes. On informe les lycéens sur le site internet du lycée Michelet et aussi avec des affiches et une grande banderole de cinq mètres au-dessus de la grille du lycée, mais ce n’est pas ça qui fait venir les jeunes.

Ces questions-là ne sont pas portées par la génération montante et c’est un grand problème. Certaines franges de la population adolescente ou jeune adulte sont très concernées par ces questions et viennent à notre festival, mais elles constituent une infime minorité de la population. Parvenir à mobiliser les jeunes reste un gros problème. Par exemple, au lycée Michelet, il y a un rucher et quelques professeurs proposent de former les lycéens à l’apiculture. L’an dernier, trois sont venus, cette année il y en a un, et ça tourne toujours comme ça.

Quelles sont les perspectives du festival pour les années à venir ?

On n’a pas encore pensé à un thème pour l’année prochaine. Mais je pense à quelque chose dont les médias commencent juste à parler, c’est TAFTA – le traité de libre-échange translatantique – et surtout l’équivalent du TAFTA entre le Canada et l’Europe qui va être signé [Plus d’infos sur TAFTA ici et ici]. On en parle beaucoup moins que TAFTA, mais il est en cours de négociation et il est beaucoup plus avancé que TAFTA. On constate que tout cela est très opaque et que personne n’en parle. On commence à en parler davantage depuis début janvier, mais l’an dernier on n’en parlait pas. Sauf des associations comme ATTAC. Notre association a contribué à une soirée avec ATTAC à Malakoff. Au sein d’ATTAC, une petite troupe s’était constituée et jouait une pièce de théâtre sur le sujet. A l’issue de la pièce, il y a eu un débat avec des gens qui connaissaient bien TAFTA. Toute l’année dernière, une association comme ATTAC était donc déjà très mobilisée et tournait avec sa petite pièce de théâtre amateur dans différents lieux. ATTAC dénonçait le fait que les négociations se passaient au niveau de Bruxelles et que personne n’y avait accès. Peu de choses sortaient des négociations. On pouvait redouter le pire. On savait déjà que par exemple, les grandes multinationales pourraient attaquer les Etats dans des tribunaux commerciaux, et non pas des tribunaux habituels, si les Etats prenaient des mesures qui pouvaient leur nuire commercialement.

On sait bien combien l’ALENA, entre le Mexique, le Canada et les Etats-Unis, a pu nuire, en particulier au Mexique. Des multinationales de l’extraction attaquent le Québec par rapport à des lois restrictives sur l’extraction des minerais au Québec. Cela nous donne une bonne idée de ce que sera TAFTA. C’est très dangereux. Dans un premiers temps, il faut se battre pour que le traité entre le Canada et l’UE ne soit pas signé. Dès lors qu’il sera retardé, ça permettra de retarder TAFTA. Et l’espoir, c’est que les citoyens se lèvent en masse pour faire en sorte que ce premier traité avec le Canada ne soit pas signé et que soient mis sur la place publique les tenants et les aboutissants de TAFTA. Il faut qu’on en parle, que ce soit clair, que les journalistes puissent avoir accès aux informations sur les négociations pour en informer les citoyens.

Nous, on va sûrement reparler des questions économiques et commerciales dans les prochaines éditions du festival. On sait également que des traités sont en train d’être passés sur l’exploitation de l’Arctique. La banquise fond, la température s’élève et de ce fait, énormément de terres commencent à pouvoir être exploitées. On devrait se centrer sur ces questions induites par le dérèglement climatique.

A l’heure où de nombreux festivals disparaissent, avez-vous l’assurance que votre festival continuera à exister dans les prochaines années ?

Malheureusement, je pense que les festivals qui traitent de questions écologiques ne vont pas s’éteindre. Il y a en a même de plus en plus qui voient le jour. Un festival comme FIFE prend de plus en plus d’ampleur et déborde de Paris : des partenariats sont établis avec des villes de banlieue pour la diffusion de films. Je préfèrerais que les festivals comme le nôtre n’aient plus à exister, cela voudrait dire que la planète va mieux. Mais je pense qu’on a encore de beaux jours devant nous. Je pense à une autre piste à exploiter : il ne s’agit plus de se demander ce qu’on peut faire pour éviter le dérèglement climatique, les catastrophes naturelles, mais plutôt de voir comment s’adapter à la planète telle qu’elle sera demain. Il y a quelques années, on proposait un film sur les Tuvalu, qui sont un archipel du Pacifique. A chaque tempête, il commençait déjà à être submergé. Quelqu’un qui faisait partie d’une association française des Tuvalu était venu nous parler de la situation de son pays. De plus en plus de lieux sont directement concernés par la montée des eaux. De nombreux pays pauvres vont être affectés, même rayés de la carte dans les prochaines décennies. En France également, on prévoit une montée des eaux. Se demander comment on peut s’adapter au monde de demain en matière de réchauffement climatique, de cataclysmes, ça concerne tout le monde ! Par exemple, la question de l’agriculture ne sera pas résolue par les OGM, car on sait que la population va encore croître à grande vitesse. On a encore de nombreux thèmes à aborder sur les questions écologiques du rapport entre l’homme et son milieu, par exemple la disparition des zones vertes dans le monde, qui sont des poumons et ont un rôle régulateur essentiel. Il suffit de regarder les cartes de l’Amazonie, qui ne cesse de s’amoindrir. La situation s’était stabilisée quelques années mais ça repart de plus belle, à cause notamment de la production de soja OGM dans les régions à l’Ouest et au Sud-Ouest du Brésil. Hélas, je pense que notre festival a encore « de beaux jours » devant lui…

La 7e édition du festival cinéma écologie de Vanves se déroule au Théâtre du lycée Michelet, du 28 mars au 1 avril 2015. Entrée libre et gratuite. Le programme complet des projections est à découvrir sur le site de la Ruche de Vanves.

Andy SELLITTO