La prairie urbaine assure la biodiversité citadine

Les Echos18/09/2008

En ensemençant de graines fleuries des parcelles de terre disponibles en ville, les aménageurs tentent de réconcilier la nature et le bitume. Premier bilan.

C’est une étonnante biodiversité qu’a révélée cet été l’inventaire faunistique conduit par l’association Naturama sur deux prairies fleuries semées en pleine ville à  Saint-Genis-Laval dans la banlieue sud-ouest de Lyon. Dans le flot de véhicules circulant le long de l’artère passante choisie pour accueillir cette jachère de 3.300 mètres carrés, les écologues ont comptabilisé pas moins de 77 espèces d’insectes et dans leur sillage une douzaine d’espèces de chauves-souris sur les 25 recensées en France. « Que la nature reprenne ses droits n’a rien d’étonnant. Mais son rythme de colonisation a de quoi surprendre », explique Christophe Darpheuil, président de l’association.

Les deux prairies ont été plantées d’un mélange champêtre classique composé de fétuque et d’une vingtaine d’espèces sauvages (marguerite, coquelicot, myosotis, centaurée bleuet, lin, achillée millefeuille, souci…). « De nouvelles espèces sont apparues spontanément, notamment des orchidées boucs protégées pour leur rareté. » Pendant un mois, armée de pièges et de filets, l’association a prélevé tout ce qui bougeait dans les herbes folles : fourmis, coléoptères, pseudo-scorpions, hyménoptères, mouches, punaises, papillons, bourdons, coccinelles…

Après quelques semaines, chacun a pris sa place sur ce terrain figurant comme une immense jungle à  l’échelle du « microcosmos ». Prédateurs, butineuses, pollinisations, décomposeurs se nourrissant de bois morts et de cadavres. Agissant comme une oasis dans la ville, les prairies ont été régulièrement visitées par la famille des apidés comprenant de nombreuses espèces dont certaines sont protégées comme le bourdon « Megabombus ruderatus ».
Nombre de chasseurs ont saisi l’opportunité de ce terrain : coccinelles dévoreuses de pucerons (chaque larve peut en dévorer jusqu’à  150 par jour), forficules, larves de syrphes, mirides se régalant de cochenilles et d’acariens, gendarmes gourmands d’oeufs d’insectes, vespidés, araignées, opilions…

Un rôle essentiel Dans ce ballet de volants et de rampants, la prairie joue un rôle essentiel. « Le choix des semences est important, poursuit Christophe Darpheuil. Le trèfle rampant comme les autres fleurs attractives a une odeur de miel qui attire les abeilles. Le chèvrefeuille comme tous les parfums forts attire les papillons. Les fleurs appréciées par les mouches et autres diptères ont une odeur désagréable qui rappelle celles des charognes. » Les fabacées (vulnéraire, luzerne…) incorporent des nodules fixateurs d’azote résultant d’une symbiose avec des bactéries. Leur métabolisme porte une hémoprotéine qui crée un milieu anaérobie favorable à  leur développement. Leur dégradation enrichit le sol. Les convolvulacées possèdent quant à  elles des lianes permettant de s’accrocher aux autres végétaux pour se maintenir face au vent. Certaines, comme le liseron des champs, attirent les abeilles. Au bout de la chaîne, forficules, muscidés, gendarmes, opilions, mille-pattes et autres cloportes décomposent la matière organique.

 

Jachères écocitoyennes

Saint-Genis-Laval n’est pas la première ville à  mener l’expérience. A Vannes, planter des prairies en ville est devenu une habitude depuis cinq ans. L’opération donne lieu à  une fête qui invite les habitants à  planter des prairies fleuries dans leur jardin en distribuant gratuitement des sachets de graines. La mairie montre l’exemple. Le printemps dernier, elle a ensemencé 2 hectares de terres, sur les ronds-points, les pistes cyclables, les jardins. « Le bilan est positif, indique Charles Rosiau, responsable des services parcs et jardins à  la mairie. Pour ces parcelles, nous n’utilisons ni engrais, ni arrosage, ni tontes. » Mieux : les apports de matières organiques résultant de ces cultures sauvages favorisent la stabilité du sol et augmentent la réserve en eau.

Laisser à  l’état sauvage ne signifie pas abandonner. Le service des espaces verts a ainsi mis en place un plan d’entretien adapté au profil de chaque terrain pour éliminer quand c’est possible l’usage de produits phytosanitaires. « Le dés herbage raisonné explore toutes les alternatives aux traitements chimiques, comme l’utilisation de solutions thermiques et mécaniques », explique un élu à  la chambre d’agriculture. Les pesticides n’ont plus leur place quand les abeilles, les chauves-souris ou la mouche verte protègent les cultures de leurs prédateurs.

L’autre intérêt de ces jachères est social. A Vannes, quinze écoles primaires participent à  l’opération « La campagne s’invite à  la ville ». Les petits apprennent à  gérer un potager biologique et construisent des refuges pour les insectes et les animaux.
A Saint-Genis-Laval, l’éco-citoyenneté passe aussi par ces prairies. « Elles ont un rôle d’éclaireur pour réconcilier la ville et la nature, explique Christophe Darpheuil. Notre regard urbain est formaté par une nature aseptisée et calibrée. Les jachères sont l’occasion de s’initier à  cet environnement livré à  lui-même. » Et pourquoi pas en tirer un label de la biodiversité ? En extrayant des bio-indicateurs du recensement quantifié d’espèces témoins, l’indice pourrait attester de l’éco-sensibilité d’une ville. La graine est plantée, l’idée fait son chemin…

PAUL MOLGA