Quand le tout-automobile passe, le bio trépasse

Point de vue de  Anne Le Strat, paru dans LE MONDE du 5 avril 2009
Anne Le Strat est adjointe au maire de Paris chargée de l’eau, de l’assainissement et de la gestion des canaux et présidente d’Eau de Paris

Pour contrer la crise économique qui nous submerge, la droite francilienne a sorti de sa besace l’idée du siècle, ou plutôt du siècle dernier : un circuit automobile à Flins. Ce fantasme de petits garçons, ardemment défendu par le président du conseil général des Yvelines et soutenu par le premier ministre, n’est pas seulement navrant par son absence de vues ; il foule au pied les bonnes intentions du Grenelle de l’environnement. Certes, nous ne sommes plus à une contorsion près, tant sont nombreux les exemples de divergence entre les principes énoncés et les actes engagés.

Dernier exemple en date, le plan de relance du gouvernement met à l’oeuvre les vieilles recettes d’un modèle de développement dépassé et dont les ressorts ont précipité la crise ; routes et autoroutes sont visiblement les seuls grands horizons qu’on nous propose pour relancer l’économie. Si le sort des ouvriers de l’industrie automobile est une question sociale de premier ordre, ce n’est pas en conservant notre modèle actuel du tout-automobile que nous la résoudrons.

Ce n’est pas non plus en construisant un circuit de formule 1 au beau milieu du deuxième plus grand captage d’eau potable d’Ile-de-France que nous fonderons l’économie francilienne de demain. Réaliser un tel équipement relève du scandale écologique. Le Grenelle a clairement fait long feu devant la crise et devant le lobby automobile, toujours actif.

Quelle belle illustration de cette schizophrénie politique qui voit des élus se faire, dans le même temps, les chantres du développement durable et les promoteurs d’un circuit de formule 1 dans une zone dédiée à l’agriculture biologique. Et quand des sénateurs viennent à la rescousse pour passer outre la laborieuse concertation du conseil général des Yvelines avec les riverains et les agriculteurs très hostiles à ce projet, on s’interroge sur l’application des projets Grenelle 1 et 2. Visiblement pour certains responsables politiques, l’enjeu de la protection des eaux souterraines n’est toujours pas devenue une priorité, malgré les alertes toujours plus grandes sur la dégradation de la qualité des ressources en eau et sur l’impérieuse nécessité de leur protection.

Pourtant, tout le monde s’accorde sur le besoin urgent de consacrer, en Ile-de-France, davantage de terres à l’agriculture biologique, aujourd’hui inexistante, de l’ordre de 0,78 % de la superficie agricole.
Simultanément, la demande de produits biologiques se fait croissante et nécessite des importations, notamment en provenance d’Europe de l’Est. C’est d’ailleurs dans cette perspective de développement d’une filière d’agriculture biologique que la Ville de Paris a vendu ces terrains, en mai 2008 à la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural Ile-de-France (Safer) pour le compte de l’agence des espaces verts afin d’y favoriser l’installation du plus grand domaine d’agriculture biologique d’Ile-de-France.

Sur ces 140 hectares, les Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) d’Ile-de-France portent un important projet de fermes biologiques innovantes, qui bénéficie non seulement du soutien de la région Ile-de-France, mais aussi de celui du programme européen plan d’aide européen pour l’agriculture périurbaine (Leader). Faut-il rappeler que les dispositions du Grenelle 1 fixent pour objectif 6 % des surfaces agricoles bio en 2012 et 20 % en 2020 ?
Avec à peine 1 % en Ile-de-France, région de forte activité agricole, nous sommes encore très loin du compte ! Viendrait-il à l’esprit d’unresponsable politique digne de ce nom d’installer un circuit automobile dans les montagnes des Catskill, zones de captage des eaux alimentant les New-Yorkais ? Ou dans la vallée de Mangfall qui fournit 80 % de l’eau nécessaire aux habitants de l’agglomération de Munich ? Assurément pas puisque ces villes ont, elles, fait le seul choix responsable : celui de sanctuariser les zones concernées.

L’Ile-de-France, zone d’agriculture dense et intensive, a vu la qualité de ses nappes phréatiques se dégrader en particulier sur les paramètres nitrates et pesticides. Actuellement le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) du bassin Seine-Normandie entre dans sa phase de concertation. Outil de planification et de cohérence de la politique de l’eau à l’échelle du bassin hydrographique, il fixe les orientations d’une gestion équilibrée de la ressource en eau avec des objectifs de qualité et de quantité selon les exigences assignées par l’Union européenne pour un retour au bon état écologique des eaux d’ici 2015.

Nous ne sommes plus dans l’incantation mais face à une obligation de résultats inspirée par la directive-cadre européenne sur l’eau.
Dans ce cadre, convertir des terres en agriculture biologique, respectueuse des ressources hydriques, contribue à l’atteinte desobjectifs.

Si cette zone de captage n’approvisionne pas la Ville de Paris, la capitale n’en demeure pas moins propriétaire de puits d’eau potable sur le périmètre concerné, et elle n’entend pas que les terrains qu’elle a cédés au service d’une ambition écologique revendiquée soient ainsi détournés de leur usage initial.

Notre responsabilité collective est de protéger notre eau pendant qu’il en est encore temps, en renonçant à ce circuit “joujou” d’élus en manque d’imagination. Espérons que ce combat inégal entre automobile et agriculture biologique ne devienne pas symptomatique des errements du Grenelle de l’environnement.

 

Un autre article de la Ruche sur le projet de circuit de Formule 1 à Flins

Un circuit de Formule 1 dans les Yvelines ?