Planquez vos friches : la guérilla du jardinage a commencé

Un article paru dans Rue89

(De Los Angeles) Scott se considère comme un guerrillero. La nuit, lorsque les forces de police se font plus rares dans les rues, il camoufle son équipement dans le coffre de sa voiture et se dirige vers l’un de ses champs de bataille. Arrivé sur place, il jette des coups d’oeil furtifs autour de lui. Il tient à s’assurer qu’il n’est pas surveillé.

Rassuré par l’absence d’activité humaine, il sort l’arsenal : bêches, râteaux, binettes, arrosoirs. Il lui arrive de retrouver des compagnons de lutte, des frères d’armes qui se livrent comme lui à la délinquance la nuit pour retrouver leurs jobs sans histoires le jour. Scott est fonctionnaire.

Le groupe livre une drôle de guerre. Son activité illicite ? Jardiner, planter des fleurs et des arbustres, des arbres fruitiers et des plantes grasses, bref tout ce qui peut embellir les quartiers que la ville abandonne aux mauvaises herbes et à la sécheresse. Leur mouvement, le Guerrilla Gardening, est né à Londres, puis a gagné Los Angeles, San Francisco, Miami et Berlin.

En gros, ces jardiniers de fortune sillonnent la ville à l’affût de lopins de terre en friches, qu’ils se mettent à cultiver, comme ça, pour rien, sinon pour le plaisir des yeux et pour agrémenter le béton d’un peu de verdure. Leurs actions sont illégales dans la mesure où il n’est pas permis à des personnes privées de cultiver des espaces publics.

« Techniquement, nous vandalisons des terres qui ne nous appartiennent pas. »

Mais même si Scott et ses compagnons ont déjà reçu de multiples amendes, aucun n’a vraiment été poursuivi en justice. Des punitions trop sévères risqueraient d’être impopulaires et de se retourner contre les élus. Surtout que les guerrilleros tendent à sélectionner des plantes natives nécessitant un minimum d’arrosage.

« Techniquement », admet Scott, « nous vandalisons des terres qui ne nous appartiennent pas. » Mais les résidents des quartiers dans lesquels ils opèrent, souvent les plus défavorisés, sont évidemment ravis. Les mauvaises herbes envahissant les trottoirs sont arrachées et remplacées par des fleurs, les îles centrales des larges avenues et boulevards deviennent de petits bijoux de verdure. Et les jardiniers ne se contentent pas de planter. Ils reviennent régulièrement sur les lieux de leurs « crimes » pour arroser et entretenir leurs oeuvres.

Communiquant via Internet, ils se passent des tuyaux et s’entraident dans le plus grand secret. « Scott est le 007 du jardinage », confiait récemment Ramon Arevalo, le paysagiste en chef de la ville de Long Beach au Los Angeles Times. Loin de vouloir sanctionner Scott et ses compères, Ramon rêve de les rencontrer pour les féliciter et leur offrir un café.

Comme n’importe quel agent secret, Scott a des ennemis. Les agaves qu’il a récemment plantés le long de la rivière San Gabriel ont déjà été arrachées. Un vol dont il soupçonne le motif : « Je pense qu’ils ont servi à faire de la téquila », explique-t-il.

A suivre, un article sur le projet franculien “Laissons pousser”…